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Édition et impact écologique : comment entrer dans une démarche de sobriété ?

« 140 et 145 millions : c’est le nombre de livres, fraîchement édités, qui sont pilonnés chaque année en France., soit ¼ de la production littéraire ».1 Constat dressé, l’impact écologique semble alors considérable. 

Le secteur de l’édition repose sur un système complexe qui entraîne une surproduction chronique de livres. De plus en plus pointée du doigt, elle n’est pourtant pas si simple à freiner car elle implique des mécanismes devenus presque incontournables aujourd’hui. Dans un contexte hautement concurrentiel en matière de divertissement, les éditeurs produisent en quantité pour augmenter les chances de réussite de leurs paris commerciaux. Au sein d’une offre alors pléthorique, soutenir la course à la production devient presque une obligation pour être visible en librairie. Parmi les facteurs liés à la surproduction, d’autres sont encore plus fondamentaux : la loi Lang et le système du pilon, pensés pour protéger la création et ses acteurs, mais qui ne permettent pas une grande souplesse en matière de revente ou de réemploi des livres, ou encore la politique des retours qui pousse les éditeurs à remettre toujours plus de nouveautés en librairie. Comment concilier ces fonctionnements avec des objectifs de sobriété ? Quelles problématiques cet enjeu met-il en exergue ?  

 

La sobriété, c’est s’imposer des limites. C’est « faire moins afin d’arriver à faire mieux pour mieux vivre »2. En complément, Anaïs Rocci, sociologue à l’ADEME, définit l’objectif de sobriété comme étant celui de « trouver un modèle de société qui permette à la fois de respecter les limites des ressources planétaires et à chaque personne de vivre décemment »3. Dès lors, lorsque l’on parle de sobriété dans le cadre du secteur de l’édition, nous nous attelons à parler de consommation raisonnée des ouvrages, de réutilisation des livres vendus ou encore du prix de ces derniers pour un accès le plus large possible à la culture. La sobriété ne traite pas seulement de l’impact écologique de la (sur)production de livres, mais bien toute la chaîne de valeur : de l’impression à l’achat par le lecteur en passant par sa diffusion dans les librairies et autres points de vente. Pour appuyer ce propos, l’Association pour l’écologie du livre, créée en 2019 pour améliorer l’impact environnemental du secteur de l’édition, met en avant trois types d’écologies : l’écologie matérielle (soutenabilité de chaque production, de sa fabrication à sa livraison) ; l’écologie sociale (questionnement des interdépendances et des équilibres entre les différents acteurs de la création au sein de la chaîne du livre) et l’écologie symbolique (incluant la diversité qualitative des productions mais aussi outils d’émancipation et d’éducation)4.  

 

L’une des premières problématiques est, comme nous l’avons mentionné, l’existence de la loi sur le prix unique du livre du 10 août 1981, dite « loi Lang », initialement pour pallier une problématique concurrentielle et protéger les éditeurs indépendants. Le principe est simple : quelle que soit la période de l’année, le prix fixé doit être respecté par tous les revendeurs (grandes surfaces, maisons de presse, sites de vente en ligne, grossistes, librairies indépendantes, etc.) et ces derniers ne peuvent y appliquer de réduction au-delà de 5% du prix déterminé par l’éditeur. Avantages : une égalité des lecteurs devant le prix du livre, une égalité concurrentielle garantissant le pluralisme dans l’édition et un réseau décentralisé de distribution. Problématique : les ouvrages édités doivent être stockés durant deux ans et vendus au prix initialement fixé pendant cette période, pour être ensuite détruits s’ils ne sont pas vendus, plutôt que d’être soldés à moindre coût. Sans pour autant remettre en cause la nécessité de cette loi pour sauvegarder les acteurs indépendants, il est aisé d’admettre que certaines dispositions sont un frein à l’exploitation des invendus. L’obligation de pilonner les ouvrages invendus est, au surplus, une problématique écologique importante à laquelle il est nécessaire de réfléchir aujourd’hui. 

 

De plus, même si, selon l’ADEME, l’édition française ne représente que 7,8% de la consommation totale de papiers graphiques en France en 20215, les éditeurs sont exclus de la filière REP (Responsabilité Elargie des Producteurs), un dispositif public qui oblige les producteurs de papiers à participer à la gestion des déchets. Thomas Bout, fondateur des éditions Rue de l’échiquier, maison d’édition indépendante spécialisée en écologie et qui œuvre pour la transition écologique de la filière, conteste d’ailleurs cette exclusion : « il est évident que le secteur doit s’interroger sur ses pratiques et que nous sommes concernés, en tant que producteurs, par une empreinte environnementale. Exclure le livre, sur ce plan-là, me semble extrêmement hypocrite et contestable »6.  

 

Outre des associations telles que l’Association pour l’écologie du livre, certaines entreprises et organisations tentent de trouver des solutions pour tendre vers un une filière du livre plus sobre et responsable. C’est par exemple le cas de tous les projets qui se créent autour de l’économie circulaire des livres pour leur donner une seconde vie : Bourses aux Livres, site Recyclivrelibrairie en ligne d’Emmaus qui recense plus de deux millions de livres d’occasion à bas prix, en dépit de nombreuses critiques7 et limites.  

D’autres maisons d’édition tentent également d’imprimer les ouvrages à la demande, c’est le cas de la maison d’édition Beta Publisher qui fait donc en sorte de ne pilonner aucun livre. Mais le modèle économique est difficilement tenable, l’avance des frais d’impression, l’attente des commandes et le temps de livraison étant de facto plus long. Peu de maisons d’édition peuvent alors se le permettre.  

 

Si nous élargissons nos horizons et que nous regardons outre-Atlantique, la France semble même connaître un léger retard puisque la bibliothèque publique d’Austin, au Texas, a mis en place dès 2009 une librairie d’occasion, « Recycled Reads » dans le cadre d’une politique « zéro déchet » initiée par la ville8.  

 

Alors que faire pour tendre vers une économie du livre plus sobre, avec une empreinte environnementale moins conséquente ? De nombreuses initiatives tentent de voir le jour mais au regard du modèle économique du secteur de l’édition et des lois l’encadrant, les lignes semblent avoir du mal à bouger. Doit-on pour autant changer le cadre légal du livre en faisant se concerter toutes les parties prenantes, des pouvoirs publics aux revendeurs de seconde main en passant par les éditeurs et les plateformes numérique ? Les lignes bougeront sans doute au long cours mais en attendant, voici quelques bonnes pratiques que Paris&Co, via le Labo de l’Edition, a tenté de mettre en exergue à travers des capsules vidéo intitulées « Planète Livres : découvrez les initiatives écologiques des métiers du livre » ou via un livre blanc publié en décembre 2020 : « Industries créatives et transition écologique : de la prise de conscience à l’action ».  

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